Une ville dans la ville
Une bulle dans la bulle
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L'entrée des Urgences s’éloigne doucement derrière nous
Les bruits de la ville s’estompent
Le temps ralentit
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D’autres sons, un autre tempo
Les conversations étouffées , les cris de douleurs , les pleurs , les rires aussi …incongrus
Les portes qu’on ouvre et referme à l’infini .
Les tubes , les seringues , le frottement des blouses bleues , roses , blanches
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L’attente qui s’étire
et d’un seul coup l’agitation
radio des poumons , écho de l’abdomen , prise de sang , pose d’un cathéter
On vole d’un lieu à un autre
On passe d’une chaleur moite à un courant d’air frais dans lequel dansent brancards et pieds roulants à perf
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L’attente à nouveau … dans un couloir rose bonbon … entre le cabinet de
toilettes et un box duquel sortent les plaintes d’un nourrisson …
Ma fille brûlante et coincée dans sa cage de fer qui l’empêche de déplier ses jambes , ses bras …
Ma fille défigurée par une mer rouge et urticante qui lui mange le corps et le visage …
Ma fille me dévore des yeux et attend une réponse .
Puis enfin dans la valse des blouses un regard qui accroche , qui sent , qui devine … et qui attend d’autres résultats …
Un mot bloque …
Un mot qui se replie sur lui même … jusqu’à former une boule au fond de
ma gorge … reptile aux écailles d’acide qui n’attend qu’un signal pour
m’étouffer .
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Défilé des soignants
Des prénoms que je ne retiens pas
« Bonjour je suis (… ) Auxiliaire de puériculture , aide soignant ,
infirmière , interne , médecin de garde … » ( enchantée ! moi je ne suis
que la maman de Lilwenn )
Entre curiosité et fascination on se succède au chevet de ma fille
On chuchote
On l’ausculte
On tente de la soulager
On découvre la bulle dans la bulle .
Une organisation parfaite encadre l’insupportable .
Une salle de jeux , des éducatrices de jeunes enfants , des professeurs … tous aux sourires invincibles …
Des dessins aux murs …
Les prénoms des enfants aux portes , un quotidien qui s’organise autour
d’un fait que je refuse de toutes mes forces … ma fille est malade et
sera présente pour un moment entre ces murs …
Vider mon sac de voyage
Déposer nos vêtements dans un placard attribué .
La trousse de toilette sur le lavabo …
Des serviettes et des gants qui apparaissent comme par magie…
Un lit plié déjà posé près de celui de ma fille …
L’équipe en place a intégré et digéré une situation que manteau encore sur le dos je ne me résout pas à accepter .
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Nuit blanche
Nuit rouge fièvre
La porte s’ouvre toutes les trois heures
La lumière du couloir pénètre dans le bruissement des chaussons des infirmiers .
On joue à la reine des neiges
Pains de glace installés sous le drap housse
Que cette fièvre tombe !
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Les premiers rayons du soleil annoncent la valse des visites et des décisions .
On me parle ponction lombaire , scintigraphie …
On me parle prise de sang puis écho cardiaque …
Je dis « elle n’a que 5 ans »
On me répond : patch EMLA , masque MEOPA et sédation
Je dis « j’ai besoin de m’asseoir »
On me rétorque « On vous attend c’est urgent »
La magie des mots qui influent sur le corps …
Quelques syllabes et votre sang semble se faire la malle et laisser
place à un froid qui grignote d’un coup chaque parcelle de peau !
Le MOT surgit de mon ventre …
Cet ennemi numéro un sur lequel je bloque.
On pose les mains sur mon épaule et on m’ordonne la patience .
On trompe la peur en enchaînant des gestes d’automate …
Les couloirs à défiler
Les médecins à rencontrer
Les examens à supporter
On concentre toute notre énergie et notre pensée sur 1m16 d’amour lové
dans un fauteuil roulant , le doudou dans les bras et le pouce dans la
bouche …
On balaie vite l’image insupportable du télescopage de ce lieu de
souffrances avec cet être fait uniquement pour la joie et le bonheur .
La logique n’est pas maîtresse ici … la vie n’est pas raison …
Si elle l’était d’autres seraient à la place de cette petite fille sur
ce fauteuil lancé à toute vitesse par l’aide soignant farceur dans les
couloirs de cette ville dans la ville …
J’ai à ce propos une liste qui s’allonge de jour en jour de noms à lui proposer à la vie …
Je reste à sa disposition …
Petit corps posé sur le froid d’une plaque …
Petit corps enlacé et serré par le bricolage hasardeux d’une infirmière …
Petit corps soumis à l’immobilité …
Petit corps brûlant de fièvre aux frissons incontrôlables…
Une heure …. une heure dans sa prison de métal …
Assise sur un tabouret près d’elle je lui lis les déboires de sa charlotte préférée.
Une heure à la calmer , à l’apaiser , à tenter de lui faire oublier la plaque de métal juste au dessus de son nez
Une heure à tenter d’oublier le MOT au dessus de nos têtes .
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Épuisée d’avoir joué les momies Lilwenn subit avec résignation les suites des opérations en direct live de la chambre ….
Injection d’un agent anesthésiant , d’un morphinique puis inhalation du MEOPA
Le regard se fait vitreux puis se ferme .
Le mien s’embue et se prépare à la noyade .
On me fait sortir en me promettant de me faire rentrer avant qu’elle ne se réveille .
Tourner en rond …
Lion en cage …
Faire les 100 pas …
Ses yeux s’ouvrent mais je sens que son esprit est en décalage , pas encore éveillé …
Elle fronce les sourcils .
Baisse les yeux sur le pansement taché de sang sur sa hanche
Les larmes coulent…
« moi je pensais que je faisais un rêve »
La digue se laisse déborder …
Tout s’écoule et s’écroule …
de longs et profonds sanglots que je laisse aller
un mauvais rêve oui …..